Nous resterons sur Terre ou les étranges idées du Docteur Strangelovelock

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C’est le tout dernier film écolomoralisateur aux images bien léchées sorti le 8 avril en France. Un film de plus pour « alerter » (culpabiliser ?, terroriser ?) la population sur les effets destructeurs de notre société sur la planète. Dans le rôle de « grands témoins », les réalisateurs Olivier Bourgeois et Pierre Barougier ont choisi plusieurs personnalités : Wangari Maathai, Mikhaïl Gorbatchev, Edgar Morin et James Lovelock. Peu connu en France, ce dernier, scientifique britannique membre de la Royal Society et seul des quatre à être une véritable figure du monde de l’écologie, est un homme aux idées détonantes qui méritent le détour. Vous connaissiez peut-être Docteur Strangelove – le fameux Docteur Folamour –, découvrez maintenant Docteur Strangelovelock !

L’hypothèse Gaïa

James Lovelock est principalement connu pour sa « théorie Gaïa », et c’est à ce titre qu’il est une référence de premier plan pour les écologistes. En effet, en 1972, James Lovelock énonce le concept de Gaïa selon lequel notre planète doit être considéré comme une entité vivante. Aujourd’hui, nombre d’écologistes de tous bords utilisent le terme « Gaïa », le nom de la Terre-Mère dans la mythologie grecque, pour désigner la biosphère. Cette théorie a par exemple fortement influencé Teddy Goldsmith, le fondateur de la revue L’Ecologiste, qui admet volontiers « une dette envers James Lovelock, homme remarquable (…) et dont la thèse Gaïa est, à mes yeux, essentielle à l’élaboration d’une vision écologique ». Le journaliste du Monde Hervé Kempf affirme pour sa part qu’« il est difficile de négliger un des savants les plus rayonnants des dernières décennies : James Lovelock a peut-être des idées fantaisistes, mais c’est une fantaisie qui a fait de lui, au minimum un très grand scientifique, et peut-être l’inventeur d’une théorie qui pourrait le placer dans la lignée des Newton, Maxwell ou Darwin… » Rien de moins.
En attendant de voir Lovelock entrer au panthéon des grands scientifiques, il a déjà sa place dans celui du… New Age. Car si dans l’esprit rationnel de Lovelock, l’hypothèse Gaïa reste une métaphore, dans l’esprit éthéré de nombreux écologistes New Age, il s’agit d’une réalité. Comme le note le magazine Rolling Stones, « si vous tapez « gaia » et « religion » sur Google, vous aurez 2.360.000 hits – wiccans (néopaganisme prônant le culte de la nature, NDLR), voyageurs spirituels, thérapeutes en massage et guérisseurs sexuels, tous inspirés par la vision planétaire de Lovelock ». Il est vrai que ces courants écolospiritualistes ne sont pas la tasse de thé du scientifique britannique. Néanmoins, Lovelock ne verrait pas d’un mauvais œil l’imprégnation de la religion chrétienne par le culte de Gaïa, comme il l’explique lui-même dans Les âges de Gaïa : « La croyance qui veut que la Terre soit vivante et doive faire l’objet d’un culte existe encore dans des endroits reculés comme l’ouest de l’Irlande et les campagnes de certains pays latins. En ces lieux, les sanctuaires de la Vierge Marie semblent avoir plus de sens, et attirer plus de sollicitude que l’église elle-même. (…) Je ne peux m’empêcher de penser que ces gens des campagnes adorent quelque chose qui dépasse la vierge chrétienne. (…) Si l’on pouvait faire comprendre à leur cœur et leur esprit qu’elle est l’incarnation de Gaïa, alors ils pourraient peut-être prendre conscience que la victime de leurs destructions est effectivement la Mère de l’humanité et la source de la vie éternelle. » Bref, Lovelock peut faire le bonheur aussi bien des écologistes à prétentions scientifiques que des écologistes à convictions spiritualistes. Sauf que certaines de ses positions sont plutôt embarrassantes pour l’ensemble des écologistes.

Gaïa doit passer avant nous

Pour James Lovelock, le plus grave problème auquel Gaïa est confrontée, c’est le réchauffement climatique. Ses prédictions sont, à ce sujet, apocalyptiques : « Aux alentours de 2040-2050, l’été européen de 2003 (où plus de 20.000 personnes sont mortes en raison de la canicule) sera la norme. (…) L’agriculture européenne aura sans doute alors cessé de produire de la nourriture, cela deviendra un désert et une région de brousses. Et le reste du monde ne sera pas épargné (…). » Jusque-là, rien de plus conforme aux discours écologistes habituels. En revanche, en bon esprit rationnel, il en tire des conséquences pragmatiques pour éviter un drame de trop grande ampleur et appelle à développer l’énergie… de fission nucléaire, le « moindre mal et le seul remède efficace dont nous disposons pour ménager la planète ». Pour lui, « le développement durable, les énergies renouvelables et les économies d’énergie ne constituent pas un remède », car insuffisants pour infléchir le cours des événements climatiques.
Il va même plus loin en dénonçant les « citadins défenseurs de l’environnement » aux bonnes intentions, dont les « actions s’avèrent souvent déplorables, voire carrément néfastes. » Il cite pêle-mêle la lutte contre les pesticides, contre les nitrates, contre les pluies acides, contre le nucléaire, etc. En fait, Lovelock se place toujours du point de vue de Gaïa, estimant que « le bien-être de Gaïa doit toujours passer avant le nôtre, car nous ne pouvons exister sans elle. » Dans cette logique, il déplore l’exploitation faite par certains écologistes de peurs individuelles, sans se soucier de l’impact véritable sur Gaïa. Il affirme notamment que « nous devons cesser d’être obnubilés par les risques de cancer dus aux produits chimiques ou aux radiations, statistiquement minimes ». Il s’en prend par exemple aux partisans de la nourriture bio qui « arborent le pavillon de l’antiscience, obsédés par leurs peurs individuelles, inconscients du tort infligé à la Terre ». Pourquoi ? Lovelock estime que l’un des plus grands préjudices portés à la planète est l’espace consacré à l’agriculture. Or, selon ce critère, l’agriculture conventionnelle est meilleure que l’agriculture bio : « Il est impossible de consacrer plus de la moitié de la surface terrestre du globe à l’agriculture sans porter atteinte à Gaïa, garante de la vie sur terre. Malheureusement, compte tenu de l’importance actuelle de la population, la productivité de l’agriculture bio – rapportée à celle de l’agriculture intensive – semble pour le moins insuffisante ». Toujours dans cette logique, il propose même de synthétiser la nourriture destinée à la population humaine afin de renoncer aux pratiques agricoles ! On comprend que les propos de ce nouveau « Newton, Maxwell ou Darwin », comme le qualifie Hervé Kempf, ont quelquefois du mal à passer auprès de ses amis écologistes.

« La seule pollution, c’est la population »

Fidèle en cela à son ami Teddy Goldsmith et aux grands pionniers de l’écologisme comme René Dumont, le commandant Cousteau, Paul Ehrlich, Ivan Illich et bien d’autres, James Lovelock que l’un des principaux problèmes est la surpopulation. Pour lui, en effet, la maladie dont souffre la Terre, c’est « la fièvre provoquée par le fléau de la surpopulation ». Il n’hésite pas d’ailleurs à comparer les humains à une maladie : « Sur Terre, les humains se comportent à certains égards comme des organismes pathogènes. Nous avons accru notre population et ses effets perturbateurs sur Gaïa à un point tel que notre présence est devenue invalidante, comme une maladie. » Il affirme sans vergogne que « les prédictions de Malthus sont enfin vérifiées » : « Comme l’avait prévu l’économiste Malthus au XIXè siècle, la population humaine, occupée à détruire ses réserves de nourriture et son environnement, sera finalement acculée à la réduction – par la famine, la maladie, la guerre ou une catastrophe naturelle. (…) Un slogan comme « la seule pollution, c’est la population » désigne une implacable réalité. »
Donc, pour le scientifique britannique, le seul moyen de faire baisser la fièvre de Gaïa serait de faire baisser le nombre d’individus. Oui, mais combien ? Lovelock avance plusieurs chiffres. Il considère ainsi que les atteintes écologiques ne constitueraient pas « un problème perceptible si la population humaine du globe était de 50 millions », mais il ajoute : « Même avec un milliard d’humains, il serait probablement encore possible de limiter les pollutions. » Plus récemment, il estimait « qu’il serait sage d’opter pour une population stabilisée d’environ un demi-milliard d’individus ; nous aurions alors la liberté d’adopter des modes de vie très différents sans nuire à Gaïa ». Traduction : Gaïa pourrait tolérer une société industrielle si on supprimait 6 milliards d’individus. Sans les préciser, il prévient que « nous devons dès maintenant soumettre la croissance démographique à de fortes contraintes ». Un euphémisme pour réduire la population de 90 % ! De toute façon, rassurez-vous, quoi qu’on fasse, ce sera Gaïa qui aura le dernier mot. Comme l’affirme Lovelock, « en fin de compte, c’est Gaïa, comme toujours, qui opérera la réduction de population et éliminera ceux qui enfreignent ses règles. » Bref, il n’y a plus qu’à attendre l’Apocalypse selon saint Lovelock !

Sources
James Lovelock, Les Ages de Gaïa, R. Laffont, 1990.
James Lovelock, Gaïa : une médecine pour la planète, Sang de la terre, 2001.
Hervé Kempf, « James Lovelock, docteur catastrophe », Le Monde, 12 février 2006 (disponible ici).
Jeff Goodell, « The Prophet of Climate Change: James Lovelock », Rolling Stones, 1er novembre 2007 (disponible ici).
FirstScience.com, « Interview : James Lovelock on Climate Change », 2 février 2007 (disponible ici).
Edouard Goldsmith, Le Tao de l’écologie, Editions du Rocher, 2002.

Un commentaire sur “Nous resterons sur Terre ou les étranges idées du Docteur Strangelovelock

  1. Tiens puisque vous parlez d’un ènième film destiné à nous culpabiliser, si on reparlait d’un film déjà un peu ancien…

    Il s’agit du film de Jean-Paul Jaud, « Nos enfants nous accuseront », sur le bio à la cantine d’un village du Gard.

    Libé de ce mardi 14 avril revient, sous la plume de Laure Noualhat (une journaliste de tendance écolo-intégriste sur ce film, en titrant sur le succès commercial du film qui flirterait avec les 200 000 entrées.

    Effectivement, c’est un véritable raz de marée.

    Le film est sorti fin novembre, donc il y a près de 5 mois. D’abord à l’affiche dans 20 salles, il en serait maintenant à 50, sans compter les multiples diffusions militantes dans tout ce que la planète écolo compte comme foire à gogos-bobos…

    Et cela fait combien d’entrées en moyenne par salle ?

    Et bien oublions les festivals, et concentrons nous uniquement sur la diffusion en salles. De 20 à 50 salles, prenons un chiffre moyen de 30 salles. Depuis la fin novembre, cela fait environ 140 jours d’exploitation. 200 000 divisés par 30 divisés par 140, nous arrivons au total faramineux de 47 spectateurs par salle et par jour…

    J’espère que les exploitants de ces salles ne sont pas trop débordés par ces marées humaines qui se pressent à chaque séance… 🙂

    Au fait : 47 spectateurs par salle, c’est par jour! On peut supposer que chaque jour il y a au moins deux séances : on arrive donc à moins de 25 spectateurs par séance

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