Dominique Belpomme

Des thèses qui sont loin de faire l’unanimité

Le catastrophisme de Dominique Belpomme est régulièrement dénoncé par nombre de sommités des milieux médicaux. Pour le Pr David Khayat, l’ancien président de l’Institut national du cancer et cancérologue à l’hôpital de La Salpêtrière à Paris, les thèses de Dominique Belpomme « ne sont étayées par aucune donnée scientifique. (…)Je crois qu’il est temps que nous ne donnions pas un statut de qualité scientifique à ce qu’il a dit car ça n’a rien de scientifique. » Il explique en effet que le Pr Belpomme utilise à contresens un mot anglo-saxon. En effet, aux Etats-Unis, il est bien dit que 70% des cancers sont dus aux facteurs d’environnement – environmental factors en anglais. Or, comme l’explique le Pr Khayat, « aux Etats-Unis, quand on parle d’environmental factors, on veut dire le tabac, l’alimentation, le soleil, les virus, les bactéries, les radiations. Tous les facteurs autres que les facteurs dit “endogènes”. » Or, ajoute-t-il, « quand en France, le Pr Belpomme traduit ce mot par l’environnement, (…) il laisse planer l’idée qu’en fait ça veut dire la pollution. C’est faux. »

De même, le cancérologue Maurice Tubiana, par ailleurs président honoraire de l’Académie Nationale de Médecine et membre de l’Académie des Sciences, et Catherine Hill (épidémiologiste à l’Institut Gustave-Roussy) ont fait publier le 20 août 2004 une tribune libre dans Les Échos, dans laquelle ils s’insurgent contre le fait que « des prédictions catastrophistes sur les méfaits de la pollution sur la santé emplissent les médias, en particulier celles d’un médecin cancérologue attribuant 80 % des cancers à la pollution, voire plus. (…) La résurgence de peurs moyenâgeuses pourrait avoir des conséquences néfastes, car les gouvernements peuvent être incapables de résister aux pressions de l’opinion publique ». Le Pr Jean-Pierre Camilleri, directeur honoraire de la section médicale de l’Institut Curie, partage ce point de vue, critiquant vertement les propos du Pr Belpomme : « Il faut éviter les déclarations incantatoires sur la “société cancérigène“ et réfléchir davantage à notre mode de vie. » Le Pr Camilleri, visiblement assez agacé, lance : « Mais de qui se moque-t-on ? Dans un pays industriellement développé comme la France, au cours des vingt dernières années, la population a gagné chaque année trois mois d’espérance de vie supplémentaire. Certes, vieillir, c’est aussi avoir plus de probabilités de faire un cancer, opportunité que les peuples d’Afrique, décimés par le sida et les guerres, ont peu de chances de connaître. » Et il s’interroge : « Mais où sont les preuves scientifiques de telles affirmations ? Procéder par paradigme sans se soumettre à l’épreuve des faits relève de l’idéologie. »

Plus récemment, quand le Pr Belpomme a déclaré sur France 2 que « lorsque l’on mange des fruits et légumes contaminés chaque jour par des petites doses de pesticides, eh bien vous finissez par faire des maladies », on a vu sursauter un certain nombre d’éminents scientifiques, grands spécialistes de la question. Interrogé à ce sujet par un journaliste d’Agriculture & Environnement, le Dr Serge Hercberg, directeur de l’Institut scientifique et technique de la nutrition et de l’alimentation, coordinateur de la grande étude épidémiologique SU.VI.MAX et grand patron du Plan National Nutrition Santé, est catégorique : « Dans l’état de la situation actuelle, il y a plus de 350 études épidémiologiques sur les relations fruits et légumes et cancer faites dans le monde entier, et dans des pays dont la vigilance (en ce qui concerne les pesticides) n’est vraisemblablement pas aussi forte qu’en Europe et en France. Sur la totalité de ces études, environ 90 % trouvent que les grands consommateurs de fruits et légumes ont un moindre risque du cancer. Les 10 % restants n’ont pas trouvé d’effets. » Pour le Dr Hercberg, « les effets néfastes n’ont pour l’instant jamais été démontrés dans aucune étude épidémiologique où ont été suivies des cohortes de personnes ». Il conclut que « la crainte des pesticides serait plus dangereuse que le risque potentiel de perte d’efficacité des fruits et légumes dans la prévention des cancers ». Egalement interrogé par un journaliste d’Agriculture & Environnement, le Pr Elio Riboli, spécialiste de nutrition et cancer et responsable de la division épidémiologie à l’Imperial College de Londres, s’étonne des propos du Pr Belpomme. Et le Pr Riboli sait que quoi il parle en tant qu’ancien chef du Service d’Etudes sur la Nutrition et le Cancer au Centre international de recherche sur le cancer et coordinateur de la plus grande étude prospective européenne sur le cancer et la nutrition. Selon lui, « cette affirmation (du Pr Belpomme) ne tient pas la route et n’a aucun fondement scientifique. A ma connaissance, il n’existe pas au monde une seule étude scientifique sérieuse sur des populations qui démontre une augmentation de risque quelconque en consommant les fruits et légumes tels qu’ils sont produits aujourd’hui. Toutes les études sur la consommation de fruits et légumes montrent soit l’absence d’effet, soit une protection, mais aucune étude sérieuse n’a trouvé une augmentation de risque de cancer liée à la consommation de fruits et légumes. »

En ce qui concerne ces multiples points de vue opposés aux thèses du Pr Belpomme, celui-ci répond par le mépris, insinuant que les scientifiques en désaccord avec lui sont forcément à la solde des lobbys industriels : « Le vrai problème est celui des experts qui travaillent pour l’industrie et qui, défendant les lobbys industriels, adoptent des points de vue en opposition avec les scientifiques indépendants. Il y a aujourd’hui un manque d’indépendance au niveau de l’expertise nationale et internationale. L’unanimité de points de vue existe au sein des experts indépendants. »