Une transition douloureuse
Fréquemment cité par José Bové, Serge Latouche et Edouard Goldsmith, l’autre « maître à penser » de la décroissance se nomme Ivan Illich (1926-2002). Auteur du livre La convivialité (1973), Illich définit sans ambiguïté les termes exacts de la décroissance. Il faut « remplacer les voitures privées par des moyens de transport collectif ; approvisionner en eau potable plutôt que de mettre en place des services chirurgicaux trop onéreux ; des aides médicaux plutôt que des médecins et des infirmières spécialisées ; des chambres froides communautaires plutôt que des réfrigérateurs individuels. (…) Pourquoi, par exemple, ne pas considérer la marche à pied comme une solution de rechange au problème des embouteillages ? Pourquoi ne pas concevoir un abri familial dont les éléments seraient préfabriqués et pourquoi ne pas obliger chaque citoyen à apprendre, au cours d’une année de service civil, comment construire un habitat décent ? »
L’intellectuel autrichien préconise l’utilisation « d’outils post-industriels rationnels » et postule que « les hommes ont la capacité innée de soigner, de réconforter, de se déplacer, d’acquérir du savoir, de construire leurs maisons et d’enterrer leurs morts. » Ainsi, plus besoin d’écoles ni d’hôpitaux, d’enseignants ni de médecins. Illich affirme d’ailleurs que l’école fait partie de « ces outils qui sont toujours destructeurs, quelles que soient les mains qui les détiennent », car elle « accroît l’uniformisation, la dépendance, l’exploitation et l’impuissance ».
Or, « les hommes n’ont pas besoin de davantage d’enseignement. Ils ont besoin d’apprendre certaines choses », précise Illich. En l’occurrence, ils « doivent apprendre à contrôler leur reproduction, leur consommation et leur usage des choses ».
Malthusien convaincu, Ivan Illich estime que le contrôle des naissances ne peut être réalisé que de façon « conviviale », c’est-à-dire sans recourir aux médecins pour effectuer stérilisations ou avortements ! Les intéressés doivent en effet prendre « conscience que cette opération délicate peut être aussi bien, sinon mieux, menée par un profane ». Honnête, il avertit que la transition risque d’être douloureuse : « Le passage à une société conviviale s’accompagnera d’extrêmes souffrances : famine chez les uns, panique chez les autres. Cette transition, seuls ont le droit de la souhaiter ceux qui savent que l’organisation industrielle dominante est en train de produire des souffrances encore pires sous prétexte de les soulager. Pour être possible, la survie dans l’équité exige des sacrifices et postule un choix. Elle exige un renoncement général à la surpopulation, à la surabondance et au surpouvoir. »
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