Le christianisme est-il écolo-compatible avec Jean-Marie Pelt ?

Chez les sympathisants écologistes, tout le monde ne condamne pas le judéo-christianisme comme étant responsable de la crise écologique (voir nos dossiers ici et ). C’est le cas notamment de Jean-Marie Pelt, aux allures débonnaires, militant écologiste de la première heure, qui déplore le fait que « le milieu écologique est très résistant et réticent à l’égard de l’Eglise parce qu’il considère que c’est le judéo-christianisme qui a créé la rupture. » Il ajoute que « ce n’est pas totalement faux, mais pas totalement vrai non plus », rappelant que la Chine ou la Grèce ont commis des actes de destruction de la nature à des époques où ces pays ne connaissaient pas la Bible. Selon lui, si l’Occident chrétien porte une part de responsabilité dans la destruction de la planète, c’est en raison d’une « dérive » qu’il fait remonter au XIIIème siècle, dérive qui aurait fait oublier à l’homme « la dimension intuitive et mystique ». Il estime notamment que le christianisme s’est trop focalisé sur l’homme au détriment de la Nature.

Donc, contrairement à l’affirmation d’autres écologistes, Jean-Marie Pelt pense que le problème ne se situe pas dans la Bible mais plutôt dans le fait que l’homme s’est dévoyé. Il s’efforce ainsi, dans ses livres ou conférences, de réhabiliter la Bible aux yeux des écologistes, mettre en valeur sa dimension mystico-écologiste et attirer les chrétiens sur les sentiers de l’écologisme. Par la même occasion, il s’érige en prophète, rappelant que « dans l’Apocalypse, la bête et le dragon » sont « Babylone perverse » et « Rome puissante et décadente », cette dernière étant qualifiée par Pelt de « grande prostituée pareille à notre société industrielle et urbaine tout entière vouée à la destruction ! » Jean-Marie Pelt annonce ainsi dans des élans prophétiques notre fin prochaine, fustigeant « notre société planétaire : un univers dont les œuvres, depuis le XIXème siècle et l’extension de l’industrialisation, ne sont plus à l’échelle humaine ; un changement d’échelle qu’Israël refuse, où elle voit les prémices de la perversion et le signe annonciateur de la destruction ». Il conclut alors que « l’apocalypse, déjà, se profile à l’horizon », tout en reconnaissant que Dieu seul sait « quelle forme revêtira le dragon ou la bête à l’époque des accomplissements ultimes ».

Face à cette apocalypse relookée en vert, l’écolo-botaniste lorrain juge « indispensable que l’Eglise catholique et ses responsables n’aient pas peur de l’écologie, qu’elle n’ait pas peur qu’elle ressuscite je ne sais quel panthéisme qui n’est pas le mal qui nous menace le plus aujourd’hui ». Jean-Marie Pelt se félicite évidemment des initiatives des papes Jean-Paul II et Benoît XVI pour sensibiliser le monde chrétien et d’autres religions au respect de l’environnement. Mais si l’on peut approuver la démarche des deux derniers papes en ce qui concerne la défense environnementale, on peut néanmoins s’interroger sur la compatibilité entre les valeurs écologistes défendues par Jean-Marie Pelt et le message chrétien.

Surpopulation et rejet de la croissance économique

Dans son livre Le tour du monde d’un écologiste, Jean-Marie Pelt n’hésite pas à dire que « les hommes pullulent comme des criquets » et, dans un autre ouvrage, de parler de « déluge » et de « marée humaine ». Il est ainsi persuadé qu’il y a surpopulation et que « ce n’est pas là le moindre des problèmes écologiques », précisant que « c’est même probablement le pire, dont tous les autres découlent ; car l’usure du patrimoine et des ressources naturelles, la dégradation de l’environnement sont bien évidemment en rapport direct avec la pression démographique ». Il lie donc la crise écologique à la surpopulation, mais aussi à l’industrie et à la science : « La crise écologique, fille de la crise démographique, est née de l’ère industrielle, et des miracles de la science ». Et cette pression démographique est elle-même, selon l’écolo-botaniste, « fille du progrès » : « La surpopulation résulte du progrès technologique et médical qui agit sur les populations pauvres en les multipliant, et sur les populations riches en les réduisant, mais dans une moindre proportion. » Il précise ainsi en quoi le progrès est fautif : « Ce progrès entrave les processus cruels et immémoriaux de régulation naturelle fondés sur des taux de natalité et de mortalité élevé. » Evidemment, en tant que chrétien, Jean-Marie Pelt a beaucoup de difficultés à défendre ces régulations naturelles cruelles et préconise plutôt de « limiter les naissances par l’éducation des jeunes filles en particulier, mieux partager les ressources disponibles ». Cela n’empêche pas M. Pelt de rendre hommage à Thomas Malthus, considérant que « l’histoire est injuste pour Malthus, authentique précurseur » et que « ce n’est pas tant l’œuvre scientifique qui prête au flanc de la critique que les conséquences sociales que Malthus en tire ».

On peut également s’étonner des critiques portées par Jean-Marie Pelt contre la croissance économique, celle-ci étant comparée à une tumeur cancéreuse : « Il paraît chaque jour plus évident que la croissance économique ne se poursuit qu’au prix d’une décroissance écologique, tout comme une tumeur cancéreuse ne s’alimente qu’au détriment de l’organisme qu’elle épuise. » Il ne s’agit pas là de simplement dénoncer l’accumulation excessive de biens. Avec ce postulat « croissance économique=décroissance écologique », ne condamne-t-il pas les 3 milliards de femmes et d’hommes qui vivent aujourd’hui dans le monde avec moins de 2 dollars par jour, à ne jamais accéder à un niveau de vie élevé ? Alors que l’Eglise est engagée depuis longtemps dans la lutte contre la pauvreté, Pelt juge pour sa part inconcevable que les pays du Sud puissent un jour accéder à un niveau de vie semblable au nôtre, déclarant : « Seuls quelques instituts de futurologie avant-gardistes imaginent encore que chaque habitant de l’Inde aura un jour le mode de vie d’un Américain ! » Avec ce type d’affirmation, Pelt glisse dangereusement vers les thèses d’écologistes radicaux comme Paul Ehrlich qui s’inquiétait dans les années 70 de « ce que deviendrait l’atmosphère si 700 millions de Chinois se mettaient à conduire des automobiles ». » Ce dernier ajoutait que « la plupart de ces nations (sous-développées) ne seront jamais, en toute hypothèse, « développées » dans le sens où le sont aujourd’hui les pays industriels d’Amérique et de l’Europe. On pourrait les appeler très exactement des nations « qui ne seront jamais développées » ». A la différence d’Ehrlich, la source d’inspiration de Pelt est le premier rapport du Club de Rome intitulé Halte à la croissance ? (1972). Ce rapport prévoyait en effet la pénurie de nombreuses matières premières avant l’an 2000 et considérait que la croissance économique, dans tous les cas de figure, amènerait à un « effondrement » de notre monde. Tout en reconnaissant que le rapport Halte à la croissance « a produit de longues séries de chiffres contestables et contestés », Pelt estime néanmoins que ce rapport « a eu en tout cas le mérite de poser un problème de fond qu’il n’est plus possible d’éluder »

L’évangile écologiste selon Jean-Marie Pelt

Jean-Marie Pelt pense qu’il y a « l’urgente nécessité de mettre un terme au gigantisme impersonnel des organisations sociales pour recréer enfin des structures à dimensions humaines ». Idée a priori séduisante, pouvant être conforme au message chrétien. Mais l’alternative qu’il propose ne s’inspire pas des Evangiles. Sa référence est un prêtre ayant quitté le sacerdoce du nom d’Ivan Illich, connu pour ses thèses écologistes radicales et malthusiennes ! Pelt écrit en effet que « l’on préférera les modèles « conviviaux » d’Ivan Illich, même s’ils irritent parfois, à ceux de nos technocrates productivistes ». Rappelons que la société conviviale rêvée par Illich consiste à défendre la petite communauté traditionnelle contre l’Etat et les valeurs de la République. Illich considère en effet que «les hommes ont la capacité innée de soigner, de réconforter, de se déplacer, d’acquérir du savoir, de construire leurs maisons et d’enterrer leurs morts», et conclut ainsi que l’on n’a plus besoin ni d’écoles ni d’hôpitaux, ni d’enseignants ni de médecins. Il affirme d’ailleurs que l’école fait partie de «ces outils qui sont toujours destructeurs, quelles que soient les mains qui les détiennent», car elle «accroît l’uniformisation, la dépendance, l’exploitation et l’impuissance». Dans cette même ligne de pensée, Jean-Marie Pelt écrit : « Les sociétés postindustrielles ne réussiront ce nouveau bond en avant que par l’affaiblissement préalable des monstres de la « technostructure », entreprises publiques ou sociétés multinationales, qui conduisent inexorablement l’humanité à l’automatisation et à la programmation des comportements individuels et collectifs. »

De plus, Jean-Marie Pelt enferme l’homme dans le cadre étriqué de son territoire, parlant de la nécessité d’un « enracinement régional » : « La brusque et vive renaissance du régionalisme exprime le besoin des hommes de retrouver leur identité en réaction contre l’uniformisation et le nivellement universel. La région est le cadre naturel et séculaire du terroir, riche de son passé, de ses valeurs, de ses traditions. » Et cet attachement au territoire ne se fait pas seulement, selon le botaniste, en raison de « valeurs » et « traditions » mais aussi pour des raisons biologiques : « Cette notion de territoire est essentielle. Elle semble intégrée au patrimoine génétique de l’humanité. Comme les primates auxquels elle appartient, l’espèce humaine reste puissamment attachée à son territoire. »

De fait, Jean-Marie Pelt dénonce la société industrielle pour avoir détruit la communauté enracinée dans le territoire. Il constate en particulier que « le développement des moyens de transport et de communication a favorisé le brassage des groupes sociaux, des races, des ethnies, soit directement par le tourisme, l’immigration, les voyages, soit indirectement par l’intermédiaire des médias ». Loin de considérer ce « brassage » comme un enrichissement, l’écolo-botaniste affirme ensuite que cela conduit à deux phénomènes aux conséquences problématiques. Le premier phénomène est « l’adaptation par “mithridatisation“ » (la mithridatisation consiste à ingérer des doses croissantes d’un produit toxique afin d’acquérir une insensibilité ou une résistance vis-à-vis de celui-ci). Il se produit ainsi « une accoutumance », « qui conduit à la découverte puis à l’acceptation de l’autre, à la reconnaissance du droit à la différence (…) » Mais, ajoute-t-il, cette évolution, qu’il qualifie de « somme toute heureuse », peut aussi avoir un prix : « Un abâtardissement général des mœurs et des cultures, une sorte d’uniformisation et de nivellement par le bas, une perte d’identité et de personnalité, enfin un laxisme culturel et moral (…). » Le deuxième phénomène est qualifié par Jean-Marie Pelt de « sensibilisation allergisante », « par production d’anticorps à l’égard d’autrui ». Il explique ainsi que les problèmes de rejet surgissent dès que « la proportion d’une population allogène dépasse un certain seuil » : « On l’observe aux USA où la confrontation raciale est particulièrement vive en raison de l’intense brassage des populations et des forts apports exogènes. En Europe, des importations massives de main-d’œuvre étrangère ont provoqué des réactions du même ordre (…). » Ainsi, selon l’évangile écologiste de Pelt, l’autre ou l’immigré est comparé soit à un produit toxique auquel on s’accoutume, soit un allergène… des conceptions bien éloignées des principes chrétiens.

Suivre quel pape ?

S’il s’agissait de s’en prendre principalement aux excès matérialistes et à l’accumulation de biens superflus, on se joindrait volontiers à la bataille de Jean-Marie Pelt contre l’adoration du « veau d’or ». D’ailleurs, de nombreux penseurs chrétiens expliquent que le bonheur ne réside pas dans l’acquisition de biens superflus. Le problème de la théorie de Jean-Marie Pelt, c’est son opposition farouche contre la croissance économique et le développement industriel. Et là, il se trouve en complète contradiction avec, par exemple, la célèbre encyclique Populorum Progressio du pape Paul VI, dans laquelle il est affirmé que « le développement est le nouveau nom de la paix ». Car même si Paul VI dénonce à juste titre la « tentation matérialiste », il conçoit l’industrialisation comme un élément indispensable au progrès humain : « Nécessaire à l’accroissement économique et au progrès humain, l’introduction de l’industrie est à la fois signe et facteur de développement. Par l’application tenace de son intelligence et de son travail, l’homme arrache peu à peu ses secrets à la nature, tire de ses richesses un meilleur usage. En même temps qu’il discipline ses habitudes, il développe chez lui le goût de la recherche et de l’invention, l’acceptation du risque calculé, l’audace dans l’entreprise, l’initiative généreuse, le sens des responsabilités. » De même, Jean-Paul II réaffirme dans son encyclique Laborem Exercens que « (…) la technique est indubitablement une alliée de l’homme » : « Elle lui facilite le travail, le perfectionne, l’accélère et le multiplie. Elle favorise l’augmentation de la quantité des produits du travail, et elle perfectionne également la qualité de beaucoup d’entre eux. » Au grand dam des écologistes, il ajoute : « Si l’expression biblique “soumettez la terre”, adressée à l’homme dès le commencement, est comprise dans le contexte de toute notre époque moderne, industrielle et post-industrielle, elle contient indubitablement aussi un rapport avec la technique, avec le monde de la mécanisation et de la machine, rapport qui est le fruit du travail de l’intelligence humaine et qui confirme historiquement la domination de l’homme sur la nature. »

Mais Jean-Marie Pelt s’est peut-être égaré en écoutant les préceptes mis en avant par celui qu’il nomme le « pape de l’écologie », en l’occurrence son ami Teddy Goldsmith, le fondateur franco-britannique du magazine que l’on peut qualifier d’intégriste : L’Ecologiste. Jean-Marie Pelt considère d’ailleurs l’ouvrage de son ami Le défi du XXIe siècle comme la voie à suivre pour éviter de se perdre « dans les miasmes d’une société décadente ». Or Teddy Goldsmith est un partisan inconditionnel des religions païennes et animistes, comme il l’affirme sans détours : « Je m’intéresse surtout aux religions primordiales, ou premières, pour la très bonne raison que les sociétés premières étaient les seules à être réellement écologiques. Depuis, à ma connaissance, aucune religion n’a été réellement écologique, sauf, naturellement, les religions des sociétés archaïques (…). Selon moi, ces religions sont aussi la norme. Elles sont les religions normales de l’homme, d’abord parce qu’elles ont été pratiquées pendant 99% au moins de notre séjour sur cette planète, et deuxièmement parce qu’on y retrouve, à peu près, les mêmes principes de base dans tous les pays qui les pratiquaient ». De plus, Teddy Goldsmith a constamment défendu des thèses malthusiennes, considérant par exemple que la population de la Terre devrait être inférieure à 2 milliards d’individus. Pour arriver à cette réduction massive de la population, Goldsmith prônait, dans son ouvrage de référence Changer ou disparaître (1972), la mise en place de centres de stérilisation et la possibilité de rendre l’avortement beaucoup plus facile afin de limiter la croissance démographique, voire même de ne payer les retraites qu’aux personnes sans enfants ! Jean-Marie Pelt ne s’est-il pas tout simplement trompé de pape…

Sources

Paul VI, Populorum Progressio, 1967. Disponible ici.

Jean-Paul II, Laborem Exercens, 1981. Disponible ici.

Paul Ehrlich, Population Ressources Environnement, Fayard, 1970.

Jean Jacob, Le retour de « L’Ordre Nouveau », Librairie Droz, 2000.

Jean-Marie Pelt, Le tour du monde d’un écologiste, Fayard, 1990.

Jean-Marie Pelt, L’Homme re-naturé, Seuil, 1977.

Jean-Marie Pelt, Au fond de mon jardin, Fayard, 1992.

Entretien avec Jean-Marie Pelt, Le Pèlerin, disponible en trois parties : 1- Jésus était-il écologiste ? ; 2- Peut-on être catholique sans être écologiste ? ; 3- La prière n’est-elle pas un acte écologique ?

Teddy Goldsmith, Changer ou disparaître, Fayard, 1972.

Discours de Teddy Goldsmith, donné lors du Forum écologie et spiritualité des 2, 3 et 4 octobre 2004, sur le thème « La dimension spirituelle de l’écologie ».