Haro sur le développement durable
Il est un fait que cette vision radicale de la société n’a pas eu un grand succès auprès des citoyens. Dans la même période, c’est plutôt le concept de « développement durable » qui s’est imposé. Donc, si l’écologisme « hard » n’a pas réussi, sa version « light » est devenue omniprésente et un prédicat incontournable dans bien des domaines, que ce soit en agriculture ou d’autres secteurs de production.
Cette situation n’est pas jugée satisfaisante pour les écologistes radicaux, à commencer par Teddy Goldsmith et son magazine L’Ecologiste, et ceux-ci décident de contre-attaquer début 2000. Paul Kingsnorth, directeur-adjoint de The Ecologist, regrette qu’aujourd’hui « tout le monde (soit) écologiste. C’est très ennuyeux ». Il ajoute : «Ce qui m’inquiète, c’est la confusion faite entre une politique vraiment écologiste et un simple environnementalisme servant de paravent pour faire oublier les failles de notre société.» Et il fait même son autocritique : «Nous avons succombé aux sirènes du « développement durable » creux et indéfini… Si nous n’y prenons pas garde, le message réellement radical de l’écologie politique finira noyé dans l’océan brunâtre du monde comme il va.» Dans un autre éditorial, Serge Latouche, considéré comme le grand intellectuel actuel de la décroissance, dénonce le développement durable comme étant un terme « toxique » et que, horreur absolue, « il nous promet le développement pour l’éternité!» Thierry Jaccaud, rédacteur en chef de L’Ecologiste, surenchérit : «De nombreuses associations écologistes ont désormais adopté le même objectif que les multinationales : le développement durable.»
Ces écologistes aux « idéaux purs » veulent donc d’une part radicaliser les mouvements écologistes et d’autre part débarrasser les mouvements altermondialistes, en plein essor comme ATTAC, de toutes revendications progressistes et de leur faire accepter le point de vue décroissant. Pour montrer le sérieux de leur démarche, ils remettent au goût du jour les travaux du principal économiste de la décroissance : Nicholas Georgescu-Roegen. Pour ce dernier, ni Malthus, ni Halte à la croissance ?, ni Changer ou disparaître ne vont assez loin : «L’erreur véritable de Malthus réside dans l’hypothèse implicite que la population peut croître au-delà de toute limite de masse ou de temps pour autant qu’elle ne croisse pas trop rapidement. C’est une erreur tout à fait semblable qu’ont commise les auteurs de Halte à la croissance?, ceux de l’étude non mathématique, mais plus cohérente, Changer ou Disparaître, ainsi d’ailleurs que plusieurs auteurs antérieurs. Parce que, à l’instar de Malthus, ils se sont attachés à prouver l’impossibilité de la croissance, ils ont été victimes d’un simple syllogisme, actuellement fort répandu quoique faux: puisque la croissance exponentielle dans un monde fini conduit à des désastres de toutes sortes, le salut écologique réside dans l’état stationnaire.» Ainsi, comme l’affirme Serge Latouche, « l’état stationnaire lui-même et la croissance zéro ne sont ni possibles, (ni souhaitables..) ». Pour preuve, il cite Georgescu-Roegen : «Nous pouvons recycler les monnaies métalliques usées, mais non les molécules de cuivre dissipées par l’usage». Bruno Clémentin et Vincent Cheynet, fondateurs du journal La décroissance, concluent : « En effet, même si nous stabilisions notre économie, nous continuerons à puiser dans notre capital. »
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