José Bové cautionne un livre conspirationniste sur les OGM

José Bové a rédigé la préface du livre récent OGM : semences de destruction de William Engdahl (JCG, 2008), dans laquelle le leader altermondialiste, sur un mode très défensif, s’efforce d’expliquer que cet ouvrage ne relève pas de la théorie du complot « mais de l’éclairage méthodique et argumenté de choix politiques parfois anciens, fondés sur une conception du monde qui nie le vivre ensemble tout en prévoyant les affrontements qui peuvent en résulter ». Malgré ses dénégations, le livre contient tous les ingrédients de la théorie du complot, en l’occurrence la description d’un groupe élitiste s’infiltrant de façon obscure dans les coulisses du pouvoir et manipulant médias, scientifiques et, finalement, l’opinion publique afin d’asseoir son contrôle sur le monde et poursuivre ses objectifs néfastes.

« Un petit groupe déterminé à contrôler la vie sur cette planète »

Si vous avez lu ou vu Le Monde selon Monsanto de Marie-Monique Robin, vous pensez peut-être que c’est cette multinationale américaine qui serait impliquée, comme la journaliste le prétend, dans « un vaste projet hégémonique menaçant la sécurité alimentaire du monde, mais aussi l’équilibre écologique de la planète ». Mais en lisant OGM : semences de destruction, on réalise que Monsanto est presque insignifiant, du « pipi de chat », à comparer à la terrible et diabolique Fondation Rockefeller (prière de vite rentrer vos enfants à la maison). L’auteur, l’Américain William Engdahl, parle dans son introduction « d’un projet mis en œuvre par une petite élite sociopolitique », « d’un petit groupe (…) déterminé à contrôler la vie sur cette planète à un degré dont personne n’a jamais rêvé auparavant ». Il y explique « comment quelques personnes ont pu contrôler les ressources et les leviers du pouvoir depuis la dernière guerre, en mettant la science elle-même à son service », et comment « cette élite a construit un réseau de pouvoir qui ne se compare à aucun autre depuis l’époque d’Alexandre le Grand ». La Fondation Rockefeller, puisqu’il s’agit du groupe en question, est, selon Engdahl, « à l’œuvre derrière le projet OGM » et qu’il est « à une ou deux décennies de la domination totale des capacités nourricières de la planète ».
José Bové et William Engdahl partagent donc le même fantasme selon lequel les comploteurs, en l’occurrence la Fondation Rockefeller et Cie – arrivent à tout contrôler. Ce postulat fondamental de la théorie du complot est contesté par le philosophe Karl Popper. En effet, pour lui, il est très rare que des actions provoquent exactement le résultat souhaité ou prévu ; il y a toujours des effets inattendus : « (…) les conséquences de nos actes ne sont pas toutes prévisibles ; par conséquent la vision conspirationniste de la société ne peut pas être vraie car elle revient à supposer que tous les résultats, même ceux qui pourraient sembler spontanés à première vue, sont le résultat voulu des actions d’une personne intéressée à ces résultats ».
Un exemple flagrant de cela apparaît dans OGM : semences de destruction, lequel accuse la Fondation Rockefeller de manipuler dans les années 70 le gouvernement américain, par le biais de son sbire Henry Kissinger, pour s’engager secrètement « dans un programme de dépopulation massif », ce qu’Engdahl qualifie de « génocide ». Dans les faits, on constate que depuis cette époque, tous les pays visés par cette politique de dépopulation ont vu, au contraire, leur population croître de façon importante ! Bref, la Fondation Rockefeller, malgré sa toute-puissance supposée (contrôle de l’arme alimentaire, de l’arme militaire, des médias, scientifiques et chefs d’Etat) n’apparaît pas aussi omnipotente que l’imaginent Bové et Engdahl.

Pire que Hitler et Staline réunis

Comme dans toute théorie du complot qui se respecte, le caractère tentaculaire de la Fondation Rockefeller est décrit avec force détails, comme ses liens avec le secrétaire d’Etat Henry Kissinger, « l’un de leurs protégés », ou avec les obscurs Council on Foreign Relations (CFR) ou Commission Trilatérale. De même, Engdahl rappelle que « tous les secrétaires d’Etat (de la présidence Carter) furent recrutés parmi les personnalités siégeant au plus haut niveau de la Fondation Rockefeller ». Bref, nous sommes incapables d’y échapper. Non seulement « ils sont partout », mais en plus ils sont méchants, voire très méchants, car un autre aspect du complotisme est la diabolisation. Certes, la Fondation Rockefeller est critiquable sur de nombreux points, et le site Alerte Environnement n’a pas manqué de la pointer du doigt à plusieurs reprises. Leur promotion de l’eugénisme ou de politiques malthusiennes sont parfaitement condamnables. Mais là, l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuiller. Ainsi, on apprend page 72 que le « rôle des institutions Rockefeller » était « la promotion d’une nouvelle forme d’eugénisme mondial, dont les ambitions dépassaient celles de la pureté raciale de l’Allemagne hitlérienne ». Quelques pages plus loin, on apprend qu’Alan Gregg, qui dirigea la division médicale de la Fondation Rockefeller, a « eu plus d’influence sur la vie et la mort sur cette planète que Josef Staline et Adolf Hitler réunis » ! Toutefois, cet homme, qui a plus d’importance que Hitler et Staline réunis, ne voit se consacrer que quelques lignes dans le livre… Est-ce vraiment bien sérieux de cautionner ce type d’affirmations, Monsieur Bové ?

Sources

William Engdahl, OGM semences de destruction – L’arme de la faim, Ed. Jean-Cyrille Godefroy, 2008.
Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis, chapitre 14.