Les accords de libre-échange en matière agricole font régulièrement la une des médias depuis plusieurs années. Synonyme d’arrivée massive de productions à bas coût et répondant souvent à des critères notamment environnementaux bien moins élevés, cette concurrence venue de loin fait peur aux producteurs et personnalités politiques françaises. Si les craintes exprimées sont légitimes, elles occultent toutefois une réalité bien plus prosaïque. La concurrence principale est peut-être à chercher plus près de chez nous…
La France comme puissance agricole européenne en perte de vitesse
La France est la première puissance agricole européenne avec 18 % de la production (2019). Du lait, aux céréales en passant par la pomme de terre, l’Hexagone caracole en tête de nombreuses productions. Pourtant, cette place de leader est de plus en plus fragile. En effet, après être devenue une grande puissance agro-exportatrice à partir du milieu des années 1970 ne comptant plus aucun déficit de ses échanges internationaux de produits agricoles et alimentaires, la France a dû faire face à l’arrivée de productions étrangères et notamment des pays européens. Au cours des deux premières décennies du nouveau millénaire, le marché intérieur français s’est largement ouvert aux importations afin de répondre aux exigences européennes (+96 % entre 2000 et 2018).
Notre pomme Golden du Limousin aurait-elle du souci à se faire ? Reconnue en France et à l’étranger, elle peine pourtant de plus en plus à se faire une place sur les étals françaises et européennes. La raison est simple, elle est de plus en plus concurrencée par des productions étrangères à commencer par la Pologne. L’ancien pays du bloc soviétique est devenu le premier pays exportateur de pommes en Europe et s’est facilement hissé en tête de ce classement grâce à une main d’œuvre 60 % moins chère qu’en France. Cet exemple illustre parfaitement la lente érosion de l’agriculture française face à la concurrence européenne. Toutes les filières sont touchées, car de l’Espagne, à l’Italie en passant par la Pologne donc, le coût de la main d’œuvre agricole est beaucoup moins élevé chez nos voisins. Les prix proposés des productions étrangères répondent donc mieux à la question du pouvoir d’achat des Français, et les parts de marché des producteurs tricolores sont toujours plus menacées.
Une balance agricole en grande souffrance
Un rapport d’information sénatorial déposé le 16 juillet 2020 confirme le danger auquel doivent faire face les producteurs français. On peut notamment y lire que « malgré des progrès récents, le droit (européen) de la concurrence ne protège pas assez les agriculteurs (français) ». Entre bonnes politiques agricoles et concurrence, l’Union européenne a fait son choix. A ce jeu-là, les producteurs français sont réduits à espérer le maintien de dispositifs d’aide fiscale temporaires qui permettent à la filière des fruits et légumes frais, par exemple, d’avoir un coût horaire du travail supérieur de « seulement » plus de 50 % en France par rapport à la concurrence européenne…
Le défi proposé par nos voisins est ainsi largement suffisant pour occuper l’ensemble des filières françaises sans que de nouveaux accords de libre-échange viennent encore plus fragiliser un édifice instable. Sans les vins et spiritueux, la balance agricole française est déficitaire de plus de 6 milliards d’euros. Le solde avec les pays européens est largement déficitaire en 2020 (4,3 milliards d’euros, en hausse de 15 % par rapport à 2019). La concurrence pour les filières françaises les plus performantes vient de pays membres de l’Union européenne. Les Pays-Bas sont en pointe dans la production de lait, l’Italie tire son épingle du jeu pour les vins, et l’Allemagne pour les céréales. A chaque fois, le coût de la main d’œuvre moins chère dans ces pays joue un rôle important.
Une « sur-réglementation » qui fragilise les producteurs français
La concurrence est d’autant plus difficile à contrecarrer pour la France que, d’après l’OCDE, notre pays a une forte tendance à « sur-réglementer » les normes environnementales prises au niveau de l’Union européenne. Autrement dit, il devient beaucoup plus difficile et contraignant de produire dans le cadre normatif imposé en France que dans les autres pays de l’Union européenne. Quand par exemple les producteurs polonais de pommes appliquent strictement la réglementation européenne en termes de produits phytosanitaires, les producteurs français ont quasiment une réglementation à part, bien plus sévère, imposant de facto des interdictions supplémentaires par rapport au droit européen. Cet aspect joue encore plus face à la concurrence extra-européenne. A titre d’exemple, de nombreux pesticides interdits en Europe sont légalement utilisés ailleurs (dichloropropène, cyanamide) et les produits qui ont subi ces traitements phytosanitaires exportés vers la France.Un autre rapport sénatorial rédigé par le Sénateur Laurent Duplomb en mai 2019 souligne ainsi qu’ « on peut estimer qu’entre 8 et 12 % des denrées alimentaires importées de pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production et sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité sanitaire de nos concitoyens ». En plus de mettre en danger la santé des consommateurs, on assiste à l’importation de produits impossibles à concurrencer pour les producteurs français.
Avant donc de vouloir imposer des clauses miroirs aux pays extra-européens sur les produits agricoles (la grande marotte de Julien Denormandie au cours des 6 mois de la Présidence française de l’Union européenne), commençons par faire appliquer les mêmes règles au sein de l’UE et à protéger les consommateurs européens des pratiques réellement risquées des producteurs hors-UE.
Autre point majeur dans les facteurs de concurrence : la disponibilité de terres agricoles. Chaque année entre 50 000 et 60 000 hectares de terres agricoles sont détruites sans retour en arrière possible. « C’est l’équivalent d’un terrain de football toutes les sept minutes ! » affirme avec le sens de la formule, Tanguy Martin, responsable de plaidoyer au sein du réseau Terre de liens. La chute vertigineuse de surfaces agricoles disponibles depuis 1950 se poursuit (de 72 % du territoire à 52 % aujourd’hui). Une donnée à prendre en considération à l’heure où les règles européennes et accords internationaux viennent mettre à mal toute une industrie de laquelle dépendent des centaines de millions d’Européens.
Sources :
Un point sur lequel je ne suis pas d’accord est la dernière partie, concernant la disponibilité des terres agricoles, qui est un peu hors sujet ici.
Je ne crois pas que cela soit un problème en France: la preuve est la constante augmentation de la surface en forêt, certes, pas les plus productives.
De cette vision, en résulte le concept de zéro artificialisation qui fossilise le pays et renchérit le prix de l’immobilier de manière dramatique.
Bien sûr que que faut pas faire n’importe quoi mais quand nous avons des régions dynamiques, la population augmente et cette population ne peut pas se loger, sauf dans des logements riquiquis sans terrain.
Et ces stupides lois contre l’artificialisation des sols provoquent le phénomène de « dents creuses », avec des terrains inconstructibles au beau milieu de villages car considérés comme terres agricoles, mais pas exploités pour autant, du fait de leur exiguïté.
Les jeunes générations, même avec des revenus moyens, ne peuvent plus devenir propriétaires et c’est dramatique.
La profession agricole porte une lourde responsabilité dans cet état de fait.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/12/liberons-le-foncier_4592149_3232.html
ça date de 2015 mais la situation a encore empiré.