Note bibliothèque verte s’enrichit aujourd’hui d’un nouvel ouvrage. Objectif : vous donner les clés pour décrypter la pensée écologiste actuelle en (re)découvrant les livres qui ont l’ont influencé.
Publié en France en 1963, La danse avec le Diable, une interview fantastique, de Gunther Schwab a été publié pour la première fois en 1958. Ce livre est qualifié par Pierre Fournier, fondateur du premier journal écologiste La Gueule Ouverte, de « bible anti-pollution ». Peu connu du grand public, il aura principalement un impact auprès des premiers militants écologistes.
L’ouvrage est sous la forme d’un récit fictif mettant en scène un journaliste américain qui convie un technicien allemand, une française médecin et un poète suédois à aller interviewer le Diable, afin de les convaincre de travailler pour celui-ci. Le Diable, sous les traits d’un homme d’affaires, leur explique : « J’ai imprégné tous les domaines de la vie humaine de mes principes. Dans tous les services, les administrations, les ministères, les sociétés, les associations, quelle que soit la fonction qu’ils remplissent, j’ai placé mes agents, mes délégués, mes collaborateurs et mes hommes de confiance. J’empoisonne méthodiquement tout ce dont l’homme a besoin pour son existence : l’air respirable et l’eau, l’alimentation humaine et le sol qui la produit. J’empoisonne les animaux, les plantes, les campagnes, toute la Nature sans laquelle l’être humain ne peut vivre. » Et, précise-t-il, « Je fais passer cette misère criante pour de la prospérité, et les hommes ne remarquent pas qu’ils sont bernés. » Le Diable fait ensuite venir différents démons qui, chacun à leur tour, font un exposé circonstancié de leurs activités.
D’abord, le démon du « Progrès » se félicite notamment de voir que ses « délégués » s’appliquent à apporter aux peuples « « sous-développés » (…) le poison du « Progrès » afin qu’ils tombent eux aussi malades de corps et d’âmes ». Il laisse ensuite sa place au démon de la puanteur dont la « réussite » est d’avoir « développé cette immoralité qui consiste à tolérer que les entreprises industrielles ainsi que de nombreux moyens de transport évacuent leurs produits de déchets (…) ». Il évoque aussi l’accumulation de gaz carbonique « qui conduit à un adoucissement des climats ». Puis, Eiw, responsable du service Soif et Sécheresse, explique ainsi un aspect de sa stratégie : « Sous le slogan de l’hygiène, je rends obligatoire dans les HLM les salles de bains et les WC à chasse d’eau et je pousse ainsi non seulement à un gaspillage intensif de l’eau et de matières organiques hautement fertilisantes, mais je pollue encore les rivières et les fleuves. » A Eiw succède Morf, impliqué dans la dégradation de l’alimentation. Dans son long exposé, il affirme qu’il « n’existe qu’un moyen de conserver une vie saine et noble, c’est de laisser la nourriture dans l’état où elle se trouve lorsqu’elle est préparée par la Nature. Une alimentation dénaturée est, et demeure, pour toujours médiocre. » Tout en précisant qu’« une nourriture médiocre ne peut produire que des êtres médiocres ». En conséquence, il a « créé un service important afin d’éliminer de l’alimentation humaine des substance de grande valeur et de la transformer insensiblement et artificiellement ». Les aliments raffinés, comme le sucre blanc, sont notamment désignés comme déclencheurs de cancers. Un autre démon, Karst, décrit la déforestation, incitant « à la construction des scieries et des fabriques de cellulose et de papier ». Il se réjouit ainsi « des mouchoirs en ouate de cellulose qui ne servent qu’une seule fois, des couches de bébé et bien d’autres objets qui sont jetés aussitôt après leur utilisation ». En outre, Karst loue « le démon du Mensonge qui est occupé à la prolifération croissante du livre, des éditions, et, en général, de tout ce qui est imprimé ». La question agricole est longuement abordée, avec trois démons : Dust, Tibu et Spray. Le premier a incité l’homme à moderniser l’agriculture et à utiliser des engrais et des pesticides chimiques, affirmant que « plus les récoltes sont impressionnantes, plus profonds et durables sont les dommages causés au sol ». Pour lui, « la mort de la vie organique dans la terre représente la dernière phase de vie de l’humanité (…) ». Le deuxième est « chargé de procéder à l’élimination de la culture rurale et de la paysannerie » tandis que le troisième se vante d’avoir « donné aux hommes l’idée de lutter contre les mauvaises herbes à l’aide de ces poisons chimiques que l’on nomme les herbicides. » Il parle aussi des insecticides, en particulier du DDT, qui entraînent selon lui la pullulation des insectes nuisibles.
A la fin du livre, Gunther Schwab avance ses idées eugénistes et malthusiennes. Un démon affirme en effet que les médecins oeuvrent pour le Diable parce qu’en « enrayant les épidémies, vous empêchez l’élimination des faibles, de ceux qui ne sont pas biologiquement résistants, et vous affaiblissez le potentiel biologique de votre peuple et de l’humanité en général. » Le Diable termine alors avec « la source de toutes les puissances de destruction », à savoir l’explosion démographique : « Jusqu’alors, la bonne mort, due aux épidémies, aux serpents venimeux, aux tigres ou aux famines avaient maintenu la fécondité naturelle des hommes à l’intérieur de certaines limites. Mais maintenant, mes mesures sanitaires de protection et de développement des productions alimentaires sont partout, et, de plus en plus, mises en application. Le taux de mortalité baisse dans le même temps où le nombre des naissances augmente. » Et il conclut : « L’homme obtiendra le succès qu’il a si longtemps cherché à atteindre en violant la Nature dans tous les domaines, avec son prétendu « Progrès » ! A la fin, l’humanité ne sera plus qu’un immense troupeau de milliards d’individus bornés, tarés, infirmes, malades, faibles et idiots (…). Une misère sans nom, les épidémies, les souffrances et la faim seront la récompense de votre belle humanité. »
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